Walter Benjamin constate au sujet des photographies d’Eugène Atget : « Le fait d’avoir situé ce processus dans les rues de Paris 1900, en les photographiant désertes, constitue toute l’importance des clichés d’Atget. Avec raison, on a dit qu’il les photographiait comme le lieu d’un crime. Le lieu du crime est désert. On le photographie pour y relever des indices ». En effet, ces lieux déserts que sont les rues urbaines paraissent hantés par les fantômes des figures humaines qui y sont passés. Cela engendre le sentiment d’une grande inquiétude qui est le produit de ce que Pierre Mac Orlan a appelé le « fantastique social », à savoir «les éléments fantastiques qui naissent de l’activité humaine » . Dans ses essais sur l’art, la photographie et notamment dans ses romans, ce concept est au centre d’une spectropoétique (terme que nous empruntons librement à Derrida) développée par cet ami des artistes (dont ceux qui fréquentaient le Bateau lavoir) . Ainsi il écrit au sujet d’un de ses amis peintres : «[…] Georges Grosz était l'homme des villes, de l'inquiétude qui hantait les villes et déformait les rues habituées habitées d'étranges masques qui tenaient lieu, aux uns et aux autres, de personnalité sociale. » Une fois abandonné par la figure humaine, la scène que constituent la ville et ses rues se transforme en terrain vague, en « non lieu » où aucun ordre humain puisse s’installer durablement pour organiser l’espace. Avec son roman Quai des brumes (1927). Mac Orlan amène son lecteur dans un cabaret, le Lapin argile, ce lieu d’une rencontre fortuite dans la ville enneigée de Paris. Une étrange compagnie de fortune se constitue alors en ce lieu hanté par le crime.